"C'est une protection, pas une punition": l'interdiction des réseaux sociaux pour les moins de 15 ans verra-t-elle bientôt le jour? La Haute-Commissaire à l'enfance répond

Comment protéger les enfants et adolescents des dangers des réseaux sociaux tout en accompagnant les familles et en préservant les données. La Haute-Commissaire à l’Enfance Sarah El Haïry, ancienne ministre de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles et vice-présidente de MoDem, revient sur l’interdiction des réseaux sociaux pour les moins de 15 ans que la France compte mettre en place au sein de l’Union européenne.
Le président de la République souhaite interdire l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 15 ans. Cette annonce a été formulée il y a une semaine, après le meurtre d’une surveillante par un élève de 14 ans à Nogent. Sait-on si ce drame est lié à cet usage?
Les enquêtes sont en cours. On n’est pas capables de dire de manière extrêmement claire s’il y a un lien. Mais ce qui est certain, c’est que la question des réseaux sociaux et de l’âge est un combat qu’on mène depuis plusieurs années. On avait voté, en 2023, la loi Marcangeli qui instaurait la majorité numérique à 15 ans. La prise de conscience de l’importance d’accompagner et de réguler l’accès aux réseaux sociaux était là.
Pourquoi cette annonce intervient maintenant? La problématique n’est pas nouvelle.
Il y a urgence. Les réseaux sociaux évoluent. Le monde virtuel a des conséquences sur le monde réel avec le cyberharcèlement. On voit la santé mentale des jeunes se dégrader. Ce n’est pas exclusivement lié aux réseaux sociaux, mais ils sont un accélérateur. Les enfants ne doivent pas être livrés à des algorithmes sans accompagnement. L’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans est une protection. Ce n’est pas une punition.
Vous évoquiez la loi Marcangeli de 2023. Elle n’est jamais entrée en application. Pourquoi?
Parce que le combat qui était le nôtre était déjà de le faire en Européen. Mais la question du contrôle de l’identité tout en garantissant la sécurité des données était encore un sujet de débat.
Comment est-ce possible techniquement?
La France est pionnière sur la question du contrôle de l’identité. Nous disposons de nombreux outils: reconnaissance faciale, France Identité, biométrie... Nous avons aujourd’hui des techniques certifiées par la Cnil [Commission nationale de l’informatique et des libertés] et l’Arcom [Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique], contrôlées par nos instances, qui protègent la donnée et l’identité. Clara Chappaz [ministre déléguée chargée de l’Intelligence artificielle et du Numérique] démontre à nos homologues européens à quel point les outils français sont fiables. Notre idée, ce n’est pas d’imposer. C’est de proposer un panel de solutions et que chacun puisse piocher dedans.
Comment contraindre les plateformes, hébergées à l’étranger, à adopter ces solutions?
Plus de sept pays, au sein de l’Union européenne, ont conscience des dégâts que causent les réseaux sociaux sur les enfants et ont envie d’aller dans ce sens. En Européen, on sera plus fort. Et si on n’arrive pas à le faire au niveau européen, on le fera au niveau national.
Quand cette interdiction pourrait entrer en vigueur?
Tout est conditionné aux discussions européennes qui se poursuivent dans le cadre du DSA (Digital Service Act, la législation sur les services numériques). Il se trouve que la prochaine présidence du conseil de l’UE sera assurée par le Danemark [du 1er juillet au 31 décembre 2025], un pays favorable à l’accompagnement et la protection des enfants. Il y a une sorte d’alignement des planètes.
Quelles autres mesures portez-vous?
Il faut à la fois être très ferme avec les plateformes et proposer un accompagnement aux familles. 500 ateliers numériques destinés aux parents ont été mis en place sur le territoire avec l’Union nationale des associations familiales et la caisse d’allocation familiale. Je pense aussi aux ateliers ou discussions dans les établissements, à la "pause numérique" (l’interdiction des téléphones portables dans l’enceinte du collège) qui sera généralisée à la rentrée. Nous sommes en train de faire évoluer Pronote [logiciel que l’établissement utilise pour gérer les absences des élèves, les devoirs et les résultats scolaires NDLR]. Nous aimerions qu’il n’y ait plus de nouvelles informations qui apparaissent sur Pronote entre 20 heures et 7 heures du matin et pendant le week-end.
La ministre de la Santé ne veut plus du tout d’écran pour les moins de 3 ans. Quelle est votre position? Comment faire concrètement appliquer une telle mesure?
On sait que de zéro à trois ans, le cerveau a besoin d’interactions humaines pour se développer et pas de pixels ni de lumière bleue. Cette nouvelle interdiction vaut pour les espaces privés car, pour les espaces professionnels, on a déjà un certain nombre de règles pour les assistantes maternelles, les crèches. La ministre rendra cette décision dans ses prochains arrêtés. Notre job, c’est de communiquer sur les conséquences de l’exposition aux écrans sur les tout-petits. Dans l’espace privé, l’idée n’est absolument pas d’envoyer qui que ce soit contrôler ce qui se passe à la maison.
Nice Matin